L’AGS et le principe de subsidiarité

L’AGS et le principe de subsidiarité

Cour d’appel de Toulouse 9 septembre 2022 RG 22/01754

 

En présence d’un relevé de créance présenté aux institutions de garantie des salaires sous la seule responsabilité du mandataire, la garantie de l’AGS-CGEA ne peut être exclue au motif qu’à la suite de l’adoption d’un plan de cession des actifs, les créances pourraient être payées sur les fonds disponibles issus du plan de cession.

 

La décision rendue par la Cour d’appel de Toulouse pose la question du principe de subsidiarité de l’intervention de l’AGS dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaire.

 

Cette question est venue sur le terrain judiciaire assez récemment en raison d’un changement de politique de l’AGS qui a modifié son interprétation de l’article L 3253-20 alinéa 1 du code du travail qui dispose : Si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 alors que le même texte prévoit en son alinéa 2 que dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, le mandataire judiciaire doit justifier, lors de sa demande, que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisé. Un recours, par saisine du juge commissaire, est alors ouvert à cette institution si elle estime que le mandataire judiciaire dispose des fonds nécessaires au paiement des créances salariales.

 

Les faits de l’espèce sont assez simples. Un plan de cession est arrêté par le Tribunal de commerce de Toulouse, celui-ci autorisant un certain nombre de licenciement. Le mandataire judiciaire, indiquant qu’il ne disposait des fonds nécessaires, a établi un relevé des créances salariales et a sollicité l’AGS. Cette dernière a refusé la prise en charge du relevé estimant que le prix de cession couvrait largement le montant du relevé. Le mandataire judiciaire n’avait d’autre choix que de saisir la juridiction compétente qui rejeta sa demande. C’est dans ces conditions que la Cour d’appel infirma la décision déférée et fit injonction à l’AGS de payer entre les mains du mandataire judiciaire les sommes objets du relevé de créances.

 

Cette décision n’est pas surprenante.

 

La Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 a prévu que « tout employeur ayant la qualité de commerçant ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ceux-ci contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail à la date de la décision prononçant le règlement judiciaire ou la liquidation des biens ». L’objectif de la Loi, selon les débats parlementaires, était de « fonder la garantie absolue du paiement des créances salariales…le paiement des créances salariales n’étant plus lié à la valeur de l’actif de la liquidation des biens et non plus subordonné aux lenteurs de ces procédures ».

 

Le législateur de 1973, à la suite de l’affaire Lip, a considéré que les salariés, victimes du risque commercial et économique de l’entreprise défaillante lorsque licenciés, ne devaient plus subir en subir les conséquences pécuniaires qui devaient être pris en charge par la collectivité des employeurs. Il s’agit, cependant, d’un régime assurantiel atypique, puisque contrairement à toute autre assurance, le régime de garantie doit se voir rembourser, en présence de fonds disponibles, l’avance des créances salariales selon un rang définie par la Loi.

 

L’article L 3253-20 alinéa 1 n’est que la traduction de ces principes. L’appréciation de l’existence de fonds disponibles ne relève que du mandataire judiciaire, sous sa seule responsabilité, et l’intervention de l’AGS, en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire, conséquence de l’état de cessation des paiements, doit être automatique.

 

C’est d’ailleurs toute la différence avec la procédure de sauvegarde, procédure ou l’entreprise n’est pas en état de cessation des paiements, dans laquelle le mandataire judiciaire doit, pour obtenir l’avance, caractériser l’absence de fonds disponibles. C’est le sens de la jurisprudence majoritaire.

 

L’AGS ne peut donc invoquer les dispositions de l’article L 625-4 du code de commerce lui ouvrant un droit propre « pour quelque cause que ce soit » à contester le principe ou l’étendue de sa garantie. Ce droit ne concerne en effet pas le mécanisme de la garantie mais les conditions de la garantie, ce texte se trouvant dans une section intitulée « vérification des créances salariales » alors que le mécanisme d’intervention se trouve dans une section dénommée « garantie du paiement des créances résultant du contrat de travail ».

 

Toute autre lecture aboutirait à un système totalement déséquilibré dans la mesure ou la procédure de sauvegarde impose une caractérisation de l’indisponibilité des fonds et un recours est ouvert à l’AGS si elle conteste cette indisponibilité alors qu’en redressement ou en liquidation judiciaire, elle pourrait être délier de sa garantie de son propre chef, sans recours au juge alors même que la situation de l’entreprise est plus problématique puisqu’en état de cessation des paiements.

 

De même, si le salarié peut supporter un aléa en procédure de sauvegarde (l’entreprise n’étant pas en cessation des paiements) à travers l’analyse préalable de la justification des fonds disponibles, cet aléa disparait en redressement ou en liquidation judiciaire, l’état de cessation des paiements.

 

En outre, l’argumentation de l’AGS semble contraire au droit européen et notamment aux directives n° 80/987/CE du 20 octobre 1980 et n° 2002/74/CE du 23 septembre 2002 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur qui ne lient en rien la prise en charge des créances salariales au constat préalable de l’absence de fonds disponibles.

 

Si l’équilibre économique du régime de garantie est une nécessité dont tous les acteurs ont conscience, il ne faut pas que de mauvaises raisons viennent dévoyer le système mis en place par le législateur qui a parfaitement rempli sa mission depuis près de 50 ans.

 

 

A rapprocher :

T.com Paris 27 octobre 2021 RG 2021/043985, LEDEN nov. 21, note FX Lucas,

T.com Bobigny 6 mai 2021 RG2021LO1170, Act.proc.Coll., 2021/13 note L. Fin-Langer,

CA Poitiers 14 juin 2022 RG 21/01968 LEDEN juill.2022 note G.Ollu (pourvoi en cours), Dalloz actualité 22 septembre 2022 Ch. Gailhbaud

 

 

Un article rédigé par Hubert de Fremont et Carine Cooper, du département Entreprises en difficulté, retournement