L’obligation d’enregistrer les entretiens lors des enquêtes de la Commission européenne

L’obligation d’enregistrer les entretiens lors des enquêtes de la Commission européenne

CJUE, 9 mars 2023, aff. C-682/20 P, C-690/20 P, C-693/20 P

 

Ce qu’il faut retenir :

La Commission européenne doit enregistrer les entretiens qu’elle mène et les soumettre à l’approbation des personnes interrogées afin de pouvoir utiliser les informations issues de ces entretiens pour établir une pratique anticoncurrentielle.

Cette obligation s’applique avant l’ouverture formelle de l’enquête pour collecter des indices de l’infraction, sous réserve que les entretiens visent à collecter des éléments relatifs à l’objet d’une enquête, mais aussi après l’ouverture formelle de l’enquête pour collecter des preuves de l’infraction.

 

Pour approfondir :

La Commission européenne (ci-après « Commission ») a été informée de l’existence, entre 2015 et 2016, de plusieurs échanges d’informations stratégiques entre des entreprises françaises du secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire.

En raison des soupçons de pratiques anticoncurrentielles, la Commission a ordonné en 2017 des inspections dans les locaux de plusieurs entreprises de ce secteur et leurs filiales.

 

En effet, l’article 20, paragraphe 1 et 4 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 confère à la Commission des pouvoirs d’enquête étendus : accès aux locaux, inspection, audition, enregistrement et mise sous scellés.

 

Dans cette affaire, trois entreprises ont introduit des recours devant le Tribunal de l’Union européenne (ci-après « Tribunal ») afin d’annuler les décisions d’inspection de la Commission.

Le Tribunal a partiellement annulé les décisions contestées (arrêts du Tribunal du 5 octobre 2020, T-249/17, T254/17 , et T-255/17). Le Tribunal a ainsi annulé les décisions d’inspection visant les échanges de 2016 au motif que la Commission ne détenait pas suffisamment d’indices permettant de présumer une pratique anticoncurrentielle. En revanche, le Tribunal a rejeté les recours ouverts contre la légalité et le déroulement des inspections qui visait les échanges de 2015.

 

Les entreprises et leurs filiales ont décidé de former un pourvoi contre les arrêts du Tribunal qui ont partiellement annulé les décisions contestées. La Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « Cour ») s’est notamment prononcée sur (1) l’effectivité des voies de recours, mais l’apport majeur des arrêts concerne (2) la régularité formelle des indices.

 

1. L'effectivité des voies de recours

 

La Cour a rejeté la demande des requérantes visant à contester l’effectivité des voies de recours.

 

La Cour rappelle qu’en matière de visites domiciliaires, le respect du droit à un recours effectif doit être examiné à la lumière des quatre conditions suivantes :

(1) l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision de procéder à de telles visites ou des mesures prises dans le cadre de celles-ci ;

(2) le ou les recours disponibles doivent permettre en présence d’une irrégularité (i) de prévenir la survenance de l’opération ou (ii) de fournir à l’intéressé un redressement approprié si l’opération irrégulière a déjà eu lieu ;

(3) l’accès avec certitude au recours concerné ;

(4) le délai raisonnable du contrôle juridictionnel.

 

Dans les trois arrêts rendus le 9 mars 2023, la Cour a retenu que le Tribunal pouvait procéder à une analyse globale, par opposition à un examen individuel, des voies de recours. Pour cela, il suffit (i) qu’un contrôle judiciaire postérieur à la décision d’inspection permette de contrebalancer l’absence de contrôle judiciaire préalable et (ii) que le ou les recours disponibles permettent de rétablir une situation appropriée.

 

2. La régularité formelle des indices

 

L’apport majeur des trois arrêts porte sur les règles régissant les pouvoirs d’enquête de la Commission et en particulier l’obligation d’enregistrement des entretiens prévue à l’article 19 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 et à l’article 3 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004.

 

Les requérantes ont reproché au Tribunal de ne pas avoir sanctionné la Commission pour (i) avoir omis de procéder à l’enregistrement des entretiens lorsque l’enquête n’était pas formellement ouverte et (ii) ne pas avoir écarté les indices résultant de ces entretiens.

 

Dans les trois arrêts, la Cour rappelle que lorsque la Commission procède à une enquête, elle doit enregistrer tous les entretiens qu’elle mène qui visent à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête, au regard de leur teneur et de leur contexte. La Cour ajoute que cette obligation s’applique autant avant l’ouverture formelle d’une enquête afin de collecter des indices d’une infraction qu’après l’ouverture de l’enquête en vue de collecter des preuves d’une infraction.

 

La Cour précise que la Commission peut enregistrer les entretiens sous toute forme, notamment orale, afin de garantir l’efficacité et la célérité de l’enquête. Par ailleurs, une copie de l’enregistrement doit être mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation, pendant une durée qui sera fixée par la Commission, afin d’assurer l’authenticité des déclarations et de limiter les interprétations.

 

Par conséquent, la Cour a partiellement annulé les arrêts du Tribunal et donc les décisions de la Commission ordonnant les inspections des locaux de plusieurs entreprises car elle a estimé que les indices n’étaient pas suffisamment sérieux. D’après la Cour, l’essentiel des indices sur lesquels reposent les décisions de la Commission avait été collectés en méconnaissance de l’obligation d’enregistrement.

 

En définitive, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle l’importance pour la Commission européenne d’enregistrer les entretiens qu’elle mène si elle souhaite utiliser les informations obtenues à cette occasion comme des indices d’une infraction, sous réserve que ces entretiens visaient à collecter des informations relatives à l’objet de l’enquête. Les entreprises se trouvant dans une situation similaire pourraient éventuellement se prévaloir de ces arrêts.

 

A rapprocher :

 

Un article rédigé par Anne Qin du département Distribution, Concurrence, Consommation