Le préjudice indemnisable en réparation de loteries publicitaires trompeuses

Le préjudice indemnisable en réparation de loteries publicitaires trompeuses

Crim. 22 nov. 2022, F-B, n° 21-86.010

 

Ce qu’il faut retenir :

Contrairement à la première Chambre civile, laquelle indemnise en sus du préjudice moral le gain manqué en cas de loterie commerciale trompeuse, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n’indemnise que le préjudice moral des victimes lorsque l’annonce d’un gain est présenté comme certain alors qu’il n’est qu’hypothétique.

 

Pour approfondir :

S’estimant trompés par la communication d’une agence de publicité qui procédait à la vente par correspondance de produits alimentaires de leur avoir fait miroiter des gains de loterie inexistants dans le cadre de publipostages, des consommateurs ont porté plainte auprès de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (la « DGCCRF ») – laquelle a mené une enquête.

 

De cette enquête, il ressort que les comportements incriminés consistaient notamment en l'utilisation d'emballages, de vocabulaire et d'univers graphique propre à entretenir une confusion avec des documents officiels, présentant comme une certitude un événement hypothétique (c’est-à-dire un gain d'un lot de l'ordre de 9 000 euros), et entretenant l'amalgame entre participation au jeu et nécessité de passer commande.

 

Le tribunal correctionnel a condamné la société et sa présidente les déclarant coupables de pratique commerciale trompeuse.

Les prévenues et le Ministère public ont relevé appel de cette décision.

Le 17 mars 2021, la Cour d’appel a condamné la gérante à six mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende, ainsi que la société à 500 000 euros d’amende.

Selon les juges du fond, le préjudice matériel indemnisable correspondait aux gains promis et non perçus.

 

Réfutant la décision de la Cour d’appel, les condamnées ont formé un pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 22 novembre 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré la décision d’appel sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle : l’absence de perception de gains promis ne constitue qu’un préjudice moral ; les juges n’ayant pas suffisamment caractérisé l’intérêt patrimonial auquel les comportements sanctionnés avaient porté atteinte.

 

A la lecture de l’arrêt commenté, une divergence semblerait se dessiner entre la première Chambre civile et la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

En effet, selon la première Chambre civile, en annonçant un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa, l’organisateur de loterie s’oblige, par ce fait volontaire, à le délivrer : dans cette hypothèse, la jurisprudence qualifie les loteries de quasi-contrats (Cass. civ. 1ère, 13 juin 2006, n°.5-18469 ; Cass civ. 1ère, 30 octobre 2013, n°11-27.353 ; Cass. civ. 1ère, 19 mars 2015, n°13-27.414).

 

A l’inverse, dans l’arrêt commenté, la Chambre criminelle a considéré d’une part que « l'absence de perception des gains promis n'est de nature à constituer par la déception qu'elle engendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, qu'un préjudice moral » et d’autre part que « les juges n'ont pas suffisamment caractérisé l'intérêt patrimonial auquel les comportements sanctionnés avaient porté atteinte ».

 

Toutefois, cette divergence de position entre les chambres civile et criminelle de la Haute juridiction peut s’expliquer par la nature délictuelle de l’action civile. En effet, c’est parce que les victimes ont agi sur le fondement extracontractuel et non sur le fondement quasi-contractuel que la Chambre criminelle n’a fait droit à leur demande.

 

Partant, la victime d’une loterie publicitaire trompeuse a tout intérêt à agir sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle pour estimer percevoir le gain promis.

 

Par ailleurs, il est à noter que la cassation n’est intervenue que sur les dispositions civiles, les autres dispositions ont été dès lors maintenues.

 

 

A rapprocher :

 

Un article rédigé par Fanny Barrach du département Distribution, Concurrence, Consommation