Un dirigeant peut-il se prévaloir d’un acte extrastatutaire en contradiction avec les statuts de la société ?

Un dirigeant peut-il se prévaloir d’un acte extrastatutaire en contradiction avec les statuts de la société ?

Cass.com., 12 octobre 2022 – n°21-15.382 F-B

 

Ce qu’il faut retenir :

 

Dans le silence de la loi, il revient aux associés d’une société par actions simplifiée de fixer librement dans les statuts les causes et les modalités de la révocation des dirigeants de la société. Si des actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts sur ce point, ils ne peuvent y déroger.

 

Pour approfondir :

 

Après avoir rappelé par un arrêt du 9 mars 2022 le principe selon lequel les modalités de révocation des dirigeants d'une société par actions simplifiée sont librement fixées par les statuts, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser par un arrêt du 12 octobre 2022, publié au Bulletin, que si des actes extra-statutaires pouvaient compléter ces statuts, ils ne pouvaient y déroger.

 

En l’espèce, le directeur général d’une société par actions simplifiée à associé unique a assigné la société en paiement d’une indemnité pour révocation intervenue, selon lui, sans juste motif. À cette fin, il se prévalait de la décision de l’associé unique aux termes de laquelle il avait été nommé en qualité de directeur général et dans laquelle il était précisé que les modalités de sa rémunération et de sa collaboration avec la société seraient celles figurant dans un courrier lui ayant été adressé le même jour. Ce courrier indiquait notamment qu’en cas de révocation de ses fonctions sans juste motif, le directeur général bénéficierait d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de sa rémunération brute fixe.

 

Or, ce courrier était en totale contradiction avec les statuts de la société qui énonçaient que le directeur général pouvait être révoqué à tout moment et que la cessation, pour quelque cause que ce soit et quelle qu'en soit la forme, de ses fonctions ne lui donnerait droit à aucune indemnité.

 

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande en paiement d’une indemnité du directeur général révoqué jugeant que la décision de l’associé unique et le courrier y afférent ne pouvaient déroger aux stipulations statutaires. La Chambre commerciale de la Cour de cassation valide en tout point le raisonnement de la Cour d’appel de Paris et rejette le pourvoi formé par le directeur général révoqué énonçant qu’« il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger ».

 

En conséquence, malgré la décision de l’associé unique de la société et le courrier y afférent prévoyant le versement d’une indemnisation dans ce cas, ces actes, en ce qu’ils étaient contraires aux statuts, ne pouvaient fonder une demande indemnitaire de la part du directeur général.

 

Si la solution peut paraître sévère compte tenu des faits de l’espèce, il n’en demeure pas moins qu’elle est parfaitement conforme à l’esprit du droit des sociétés. En effet, cet arrêt vient rappeler l’importance capitale que revêtent les statuts, socle du contrat de société. Cela est d’autant plus vrai en présence d’une société par actions simplifiée, qui se caractérise par la grande liberté laissée aux associés pour organiser, dans les statuts de la société, son fonctionnement ainsi que les conditions dans lesquelles cette dernière est dirigée.

 

Véritable loi pour les associés, les statuts ne souffrent pas qu’un acte extra-statutaire puisse y déroger. Les stipulations statutaires ne sont pas pour autant intangibles, mais leur modification doit résulter d’un acte empreint d’un certain formalisme, la jurisprudence s’opposant à toute modification statutaire implicite.

 

Dès lors, cette solution vient réaffirmer que l’efficacité d’un acte extrastatutaire ou d’une pratique dépend de sa conformité aux statuts. Il se révèle donc indispensable de veiller à une articulation cohérente de tout acte ou pratique émanant de la société ou de ses associés avec les statuts.

 

Enfin, rappelons qu’en tout état de cause, en vertu d’une jurisprudence constante, toute révocation qui interviendrait dans des conditions brutales ou vexatoires serait abusive et ouvrirait au dirigeant ainsi révoqué le droit de demander l’octroi de dommages-intérêts, nonobstant toute clause contraire des statuts.

 

À rapprocher :

227-1 du Code de commerce

L. 227-5 du Code de commerce

Cass.com., 9 mars 2022 – n°19-25.795

 

Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions