Revirement de jurisprudence : annulation des délibérations contraires aux statuts de sociétés par actions simplifiées

Revirement de jurisprudence : annulation des délibérations contraires aux statuts de sociétés par actions simplifiées

Cass.com., 15 mars 2023 – n° 21-18.324 F-B

 

Ce qu’il faut retenir :

Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais que, dans une société par actions simplifiée, les décisions prises en violation de clauses statutaires déterminant les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient sont susceptibles d’être annulées dès lors que cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

 

Pour approfondir :

Les causes de nullité des actes et des délibérations des organes d'une société sont restrictivement prévues par les articles 1844-10 du Code civil et L. 235-1 du Code de commerce. Ce dernier texte, construit en deux alinéas, distingue en outre selon que lesdits actes et délibérations emportent, ou non, modifications des statuts. En effet, si aux termes de son premier alinéa, la nullité des actes et délibérations modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du Code de commerce ou des lois régissant la nullité des contrats, la nullité des autres actes et délibérations suppose, aux termes de son second alinéa, la violation d'une disposition impérative du Livre II Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats.

 

Il est ainsi revenu à la jurisprudence de dégager le caractère impératif de telle ou telle disposition légale du Livre II du Code de commerce. Ainsi, dans un arrêt en date du 18 mai 2010 publié au Bulletin (dit « arrêt Larzul »), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ne devait pas être sanctionné par la nullité. Ce faisant, la Cour de cassation refusait d’admettre comme cause de nullité la violation des statuts, réservant la sanction de la nullité aux seules violations des stipulations conventionnelles prises en application d’un aménagement permis par une disposition impérative à laquelle elle les assimilait pour en justifier la sanction (Cass.com., 26 avril 2017, n° 14-13.554).

 

Toutefois, la Haute Juridiction vient d’opérer un revirement de jurisprudence dans un arrêt, publié au Bulletin, en date du 15 mars 2023, à propos d’un litige né au sein de la même société qui avait donné lieu treize années auparavant à l’arrêt Larzul.

Au cas particulier, par un arrêt en date du 15 juin 2021, la Cour d’appel de Rennes avait fait droit à la demande d’un associé de la société Larzul qui sollicitait l'annulation des délibérations de l'assemblée générale de la société, prises en violation de ses droits d’associé prévus par les statuts de la société. En effet, cet associé avait été privé de son droit de prendre part à ces délibérations en raison de l’annulation d’une opération d’apport et de l’augmentation de capital réalisée au profit de la personne morale dont il était l’associé unique. Ce dernier demeurait toutefois, à titre personnel, associé de la société Larzul à raison d’une cession de titres qui n’avait fait l’objet d’aucune remise en cause.

 

À l’aune de la jurisprudence adoptée jusqu’alors, la société Larzul s’est pourvue en cassation reprochant notamment à la Cour d’appel d’avoir annulé les délibérations de l'assemblée générale de la société sans avoir constater que ces délibérations étaient de celles qui auraient dû être prises collectivement par les associés en vertu d'une disposition impérative du Livre II du Code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées. Cette argumentation, tirée des apports de l’arrêt Larzul, est rejetée par la Cour de cassation.

 

Non sans une certaine pédagogie, la Chambre commerciale de la Cour de cassation reconnaît, dans cet arrêt du 15 mars 2023 que les limitations apportées par la jurisprudence à la possibilité de voir sanctionnée par la nullité la méconnaissance de stipulations statutaires conduisent à ce que leur violation demeure sans conséquence. À cet égard, la Haute Juridiction constate que les solutions précédemment retenues n’apparaissent pas satisfaisantes s’agissant en particulier des sociétés par actions simplifiées, dont l’article L. 227-9 du Code de commerce laisse aux associés une grande liberté pour déterminer, dans les statuts de la société, les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient.

 

La Cour de cassation fonde son revirement sur l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce énonçant que les décisions prises en violation des dispositions dudit article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé, auquel elle donne un champ d’application plus large que celui qui lui était jusqu’alors réservé par la jurisprudence. Aux termes de cet arrêt, les juges du droit soulignent que ledit texte a été « institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce ».

 

À cet égard, si la Haute Juridiction abandonne sa conception limitative des nullités en jugeant désormais que, dans une société par actions simplifiée, les décisions prises en violation de clauses statutaires déterminant les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient sont susceptibles d’être annulées, encore faut-il pour ce faire que cette violation soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

 

Nul doute que cette solution doive être saluée en ce qu’elle réaffirme que le respect des stipulations statutaires est essentiel au bon fonctionnement de la société par actions simplifiée et à la sécurité de ses actes. Le champ d’application de cette décision interroge néanmoins : Il nous paraît ainsi devoir se limiter aux stipulations de l’alinéa premier de l’article L. 227-9 du Code de commerce qu’elle vise expressément.

 

Dans l’attente des éclaircissements qui seront apportés ultérieurement par la jurisprudence, il se révèle plus que jamais indispensable de veiller au strict respect des stipulations statutaires, au risque d’encourir la sanction de la nullité.

 

À rapprocher :

Article L. 235-1 du Code de commerce
Article L. 227-9 du Code de commerce
Cass.com.,18 mai 2010, n°09-14.855
Cass.com., 26 avril 2017, n° 14-13.554

 

Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions