Réforme de l’entreprise individuelle : une attractivité renforcée

L’entreprise individuelle a été profondément réformée par la loi du 14 février 2022 qui vient d’entrer en vigueur le 15 mai dernier. Le renforcement de la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel qui en résulte accroît considérablement son attractivité.

****

L'entreprise individuelle est une forme d’exercice qui s’adresse aux personnes physiques désirant exercer, en leur nom propre, une activité professionnelle sans créer de société dont la forme la plus connue est celle d’auto-entrepreneur. Elle est adaptée à l’exercice de toute activité professionnelle indépendante qu’elle soit commerciale, artisanale, agricole ou libérale. La simplicité de son fonctionnement contraste fortement avec la forme sociétaire, laquelle implique une gestion rigoureuse et un coût non négligeable. Pour autant, elle constituait jusqu’à peu une forme d’exercice assez peu recommandée en raison des risques importants qu’elle pouvait engendrer, risques que la loi du 14 février 2022 est venue limiter.

 

L’entreprise individuelle avant la réforme

L’absence de création d’une personnalité morale ou, à tout le moins d’un patrimoine d’affectation, privait l’entrepreneur individuel de toute protection contre les risques nés à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle. Ce dernier était donc amené à répondre des dettes professionnelles sur l’ensemble de ses biens professionnels et personnels, présents et à venir. Cette responsabilité totale et illimitée était source de conséquences potentiellement dévastatrices, en particulier lorsque l’entrepreneur était marié sous le régime de la communauté légale.

Conscient de ces difficultés, le législateur a tenté d’apporter au statut de l’entrepreneur individuel certains correctifs.

Par une loi du 1er août 2003, il a ainsi permis à l’entrepreneur individuel de déclarer certains immeubles insaisissables par ses créanciers professionnels : d’abord sa seule résidence principale, avant l’extension de ce régime à tous les immeubles. Une telle déclaration était toutefois soumise à de strictes conditions de publicité et n’était opposable qu’aux créanciers professionnels dont la créance était née postérieurement à la déclaration. Enfin, grâce à la loi du 6 août 2015, la résidence principale de l’entrepreneur s’est trouvée protégée par une insaisissabilité de droit.

Par ailleurs, a aussi été créée l’entreprise individuelle à responsabilité limitée qui permettait aux entrepreneurs individuels de limiter l’étendue de leur responsabilité. Il s’agissait pour l’entrepreneur individuel d’isoler une masse de biens destinée à répondre des dettes professionnelles en procédant à une déclaration d’affectation. La liberté de composition du patrimoine affecté était néanmoins encadrée dans la mesure où les biens nécessaires à l’activité professionnelle devaient figurer dans le patrimoine d’affectation tandis que l’entrepreneur individuel demeurait libre d’y faire figurer ou non les biens simplement utiles à son activité. En cas de difficultés, les créanciers professionnels ne pouvaient poursuivre l’entrepreneur individuel que sur les biens affectés à son activité professionnelle. Toutefois, si cette option pour la responsabilité limitée conférait à l’entreprise individuelle originelle un atout indéniable, force est de constater qu’elle n’a eu que très peu de succès en raison des formalités qu’elle impliquait.

 

Une réforme majeure destinée à la protection de l’entrepreneur individuel

La loi du 14 février 2022, entrée en vigueur le 15 mai dernier, modifie en profondeur le régime applicable aux trois millions d’entrepreneurs individuels. Le patrimoine de ces derniers est désormais scindé en un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel, étant souligné que la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel qui en résulte n’est subordonnée à l’exercice d’aucune option et joue de plein droit. Même si les entreprises individuelles à responsabilité limitée existantes subsisteront, il ne sera désormais plus possible d’y recourir dans la mesure où l’adoption du statut protecteur de l’entrepreneur individuel vient conférer à tout entrepreneur individuel la protection qui lui faisait défaut.

Tous les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité professionnelle sont de plein droit affectés à son patrimoine professionnel. Les créanciers professionnels ne pourront donc appréhender que ces biens tandis que les biens relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel sont, eux, à l’abri sans qu’aucune déclaration ou formalité ne soit nécessaire.

La vigilance reste néanmoins de mise car le critère de l’utilité à l’activité professionnelle retenu par la loi est large et permet de capter dans le patrimoine professionnel les biens à usage professionnels mais également les biens mixtes, lesquels sont à la fois à usage professionnel et personnel.

Un décret en date du 28 avril 2022 est venu préciser que les biens utiles à l’activité professionnelle sont ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité. Ledit décret fournit également une liste non exhaustive d’éléments susceptibles de faire partie de ce patrimoine professionnel, tels que le fonds de commerce, les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel, ou encore toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle. La jurisprudence viendra sans doute préciser les contours de la notion de biens utiles à l’activité professionnelle au fur et à mesure.

Malgré ce point de vigilance, en dotant de plein droit l’entrepreneur individuel d’un patrimoine professionnel distinct de son patrimoine personnel, la réforme de l’entreprise individuelle a indéniablement renforcé son attractivité. Bénéficier d’une simplicité de fonctionnement sans renoncer à la protection de son patrimoine personnel, fût-elle relative, est donc désormais possible !

 

Article rédigé pour Be A Boss par Patrice MONTCHAUD, avocat associé et Nadia KNOUZI, avocate en droit des sociétés, finance, cession et acquisitions au cabinet Simon Associés.