Réforme de l’audiovisuel : focus sur le nouveau droit de regard du ministre de la culture sur les cessions de catalogues audiovisuels et ses conséquences sur les opérations de M&A

Un projet de loi « relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique » dont le contenu a été diffusé par le site Contexte a été mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres le 7 avril prochain.

Si ce projet reprend les grandes lignes de la version présentée en début d’année 2020, la nouveauté réside surtout dans l’article 17 qui prévoit de mieux protéger les catalogues audiovisuels français. En effet, le ministère de la Culture pourrait acquérir un droit de regard sur la vente de ces catalogues.

 

L’instauration d’un tel droit de regard, réclamé par l’ARP[1] et qui répond à la légitime préoccupation d’assurer « dans l’intérêt général, l’intégrité, la conservation patrimoniale, la valorisation et l’exploitation de ces catalogues auprès du public », aura immanquablement des conséquences sur les futures opérations M&A et les financements dans le secteur des médias et de l’entertainment.

 

1. Les opérations concernées

Les opérations concernées sont, d’une part, les cessions directes ou indirectes de catalogues audiovisuels dits « remarquables » quelles que soient leurs modalités et, d’autre part, la sortie à titre temporaire des éléments techniques (pellicules, copies, fichiers numériques, etc.) relatifs aux œuvres de tels catalogues audiovisuels en dehors d’un Etat Européen.

 

2. Une procédure d’autorisation en deux temps

Le nouveau régime d’autorisation inséré dans ce projet de loi se déroule en deux étapes.

Dans un premier temps, le ministre se prononce sur l’applicabilité du régime d’autorisation à un catalogue. Puis dans un second temps, dans l’hypothèse où un catalogue entrerait dans son champ d’application, le ministre se prononce sur l’autorisation de la cession.

S’agissant du champ d’application, seraient uniquement protégés les catalogues audiovisuels détenus par des personnes physiques de nationalité française, ou par des personnes morales dont le siège social est situé en France « qui reflètent la création et la production cinématographique et audiovisuelle européenne et présentent un intérêt majeur au point de vue culturel ou patrimonial ».

Le propriétaire d’un catalogue audiovisuel, dès lors qu’il envisage sa cession, devra saisir le ministre chargé de la culture d'une demande écrite aux fins de savoir si ce catalogue est protégé. Le ministre dispose alors d’un délai de deux mois pour se prononcer, à défaut de réponse dans ce délai, le catalogue est réputé ne pas être protégé.

Dans l’hypothèse où le catalogue dont la cession est envisagée serait considéré comme protégé, alors sa cession directe ou indirecte, quelles que soient ses modalités, sera subordonnée à l’obtention d’une autorisation préalable délivrée par le ministre chargé de la culture. Là encore, le ministre disposera d’un délai pour se prononcer (délai dont la durée sera fixée par décret en Conseil d’Etat). A défaut de réponse dans ce délai, l'autorisation sera réputée accordée.

Des sanctions pécuniaires sont prévues en cas de cession non autorisée : elles pourront s’élever à la plus élevée des sommes suivantes :

- Le double du montant du prix de cession du catalogue ou du montant de l’opération ;
- 10 % du chiffre d’affaires mondial annuel hors taxes de l’entreprise ;
- Un million d’euros pour les personnes morales et 500 000 euros pour les personnes physiques.

 

3. La valorisation et l’exploitation du catalogue : condition essentielle de l’autorisation

L’autorisation ne peut être accordée que si l’acquéreur justifie qu’il est en mesure de respecter les obligations suivantes :

1° Assurer de manière pérenne le dépôt et la conservation en France des éléments techniques relatifs aux œuvres du catalogue audiovisuel ;

2° Assurer la valorisation et l’exploitation du catalogue audiovisuel, notamment par la recherche d’une exploitation suivie des œuvres dans les conditions prévues à l’article L.132-27 du Code de la propriété intellectuelle ;

3° Prendre toute mesure technique pour participer à la lutte contre la contrefaçon des œuvres constituant le catalogue audiovisuel.

Les obligations mentionnées au 2° et au 3° sont réputées remplies lorsque l’acquéreur est un producteur d’œuvres audiovisuelles (donc déjà soumis aux obligations de l’article L.132-27 du Code de la propriété intellectuelle).

La référence expresse à l’article L.132-27 du Code de la propriété intellectuelle constitue l’un des enjeux majeurs de cet avant-projet de loi. En effet, le droit français – qui se veut favorable aux auteurs – impose au producteur d’entreprendre ses meilleurs efforts pour permettre à l’œuvre d’être exploitée en France et/ou à l’étranger, soit en exploitant l’œuvre lui-même, soit par le biais de distributeurs ou d’opérateurs.

Soucieux de favoriser la circulation des œuvres et d’éviter des acquisitions de catalogues qui auraient pour seul objectif de constituer un « réservoir » d’œuvres pouvant constituer une source d’éventuels préquel, sequel ou autre spin off, le projet de loi conditionnerait la cession d’un catalogue à la valorisation et l’exploitation effective de son contenu.

 

4. Conséquences sur les opérations M&A et le financement des œuvres audiovisuelles et cinématographiques

A l’heure où les opérations M&A ainsi que les levées de fonds se multiplient dans le secteur des médias, l’entrée en vigueur de cette mesure sera regardée de près par d’éventuels investisseurs qui pourraient y voir un risque sur la liquidité de leur investissement dès lors qu’elle pourrait limiter le nombre d’acquéreurs potentiels à la sortie. On peut, d’une part, s’interroger sur la capacité d’un fonds d’investissement à justifier de sa capacité à assurer la valorisation et l’exploitation du catalogue audiovisuel. D’autre part, on peut se demander si l’un des buts poursuivis par le législateur serait d’éviter le départ à l’étranger de catalogues français. L’appréciation subjective du ministre sur la capacité de l’acquéreur à exploiter le catalogue lui permettrait de mettre son « véto » sur une opération d’acquisition au profit d’un acquéreur étranger.

Par ailleurs, dans la mesure où, selon le projet de loi, sont assimilées à la cession d’un catalogue audiovisuel (i) la cession d’une partie cohérente du catalogue ou (ii) toute opération ayant pour effet de transférer la maîtrise du catalogue, il convient de s’interroger sur l’éventuelle application de cette mesure aux suretés prises par des créanciers sur tout ou partie des œuvres d’un catalogue. En effet, dès lors que la réalisation d’un nantissement entraine un changement, direct ou indirect, du propriétaire de l’œuvre, elle pourrait être soumise à l’autorisation du ministre. Il sera alors difficile pour une banque ou tout autre créancier financier de justifier de sa capacité à assurer la valorisation et l’exploitation du catalogue audiovisuel qui lui a été donné en garantie de sa créance.

Enfin, si cette mesure affiche l’ambition légitime de protéger les œuvres et leurs auteurs en faisant de l’exploitation future des œuvres la condition à leur cession, il est à craindre que cette condition ait pour effet de favoriser les grands groupes audiovisuels au détriment de nouveaux entrants sur le marché alors même que les exemples de catalogues « dormants » dans les coffres de ces grands groupes ne sont pas rares.

 

[1] Mathieu Debusschere (L’ARP) : « La priorité absolue est de faire contribuer les plateformes à la diversité culturelle », Contexte.com, 19 mai 2020 :