La révocation judiciaire du gérant : à quelle condition ?

La révocation judiciaire du gérant : à quelle condition ?

Cass.com., 25 janvier 2023 – n° 21-18.985 F-B

 

Ce qu’il faut retenir :

 

La révocation judiciaire du gérant prévue par les dispositions du Code civil et du Code de commerce pour cause légitime ne requiert pas que les fautes invoquées soient intentionnelles et d’une particulière gravité. Ainsi, toute faute, fût-elle mineure, peut constituer une cause légitime justifiant la révocation judiciaire du gérant qui en est l’auteur.

 

Pour approfondir :

 

Le statut des dirigeants sociaux se caractérise par sa précarité. Que les modalités de leur révocation par décision collective des associés soient plus ou moins souples, selon qu’il s’agisse d’une révocation ad nutum ou sur justes motifs, les dirigeants sociaux sont par principe toujours librement révocables. Le cas échéant, seuls des dommages-intérêts pourront être réclamés par le dirigeant révoqué sans justes motifs alors que ceux-ci étaient exigés par la loi ou les statuts.

 

Par ailleurs, le Code civil et le Code de commerce comportent des dispositions permettant aux associés et/ou à la société de solliciter la révocation judiciaire pour cause légitime à l’encontre des gérants de sociétés civiles, de sociétés en commandite par actions et de société à responsabilité limitée. C’est cette dernière modalité de révocation qui se trouve illustrée par un arrêt de cassation en date du 25 janvier 2023.

 

En l’espèce, les associés d’une société à responsabilité limitée ont assigné le gérant de la société aux fins de voir prononcer, outre sa condamnation à réintégrer certaines sommes au bénéfice distribuable de la société, la révocation de ce dernier de ses fonctions de gérant en raison d’irrégularités et d'anomalies comptables imputables à sa gestion.

 

Par un arrêt du 26 avril 2021, la Cour d’appel de Basse-Terre a débouté les associés de leur demande de révocation judiciaire jugeant que lesdites irrégularités et anomalies constituaient « essentiellement d[es] erreurs qui n'ont pas eu pour conséquence de favoriser un associé ou le dirigeant au détriment des autres associés et que les provisions non justifiées peuvent être régularisées », concluant dès lors que ces irrégularités étaient insuffisantes pour justifier la révocation judiciaire du gérant (CA Basse-Terre, 16 avril 2021 – n°19/01401).

 

Par un arrêt en date du 25 janvier 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Basse-Terre sur ce point, au visa de l’article L. 223-25 du Code de commerce, reprochant aux juges du fond d’avoir ajouté à ce texte des conditions qu'il ne comporte pas. Par conséquent, pour la Haute Juridiction, les irrégularités et anomalies comptables commises par le gérant, bien que jugées mineures, constituent une cause légitime au sens de l’article L. 223-25 du Code de commerce de nature à motiver la révocation judiciaire du gérant.

 

Si la décision peut paraître sévère, elle n’en est pas moins conforme à la lettre de l’article L. 223-25 du Code de commerce et à la jurisprudence de la Cour de cassation qui n’exigent pas la caractérisation d’une faute intentionnelle d’une particulière gravité pour constituer une cause légitime de révocation judiciaire. Rappelons à cet égard que la constatation d’une faute intentionnelle d’une particulière gravité demeure néanmoins nécessaire pour engager la responsabilité personnelle du dirigeant.

 

La cause légitime de révocation judiciaire du dirigeant, que l’on doit ainsi distinguer de l’engagement de sa responsabilité, doit s’apprécier en considération de l’intérêt de la société en tant que telle, indépendamment de l’existence de tout préjudice. Il résulte ainsi de la jurisprudence que constituent une cause légitime de révocation judiciaire du gérant la violation de la loi ou des statuts, le manquement du dirigeant à ses obligations ou encore la mauvaise gestion de nature à compromettre l’intérêt social. Dans certaines hypothèses, la perte de confiance des associés peut également constituer une cause légitime de révocation judiciaire du dirigeant. L’on comprend dès lors que des irrégularités ou anomalies commises par le dirigeant, même minimes et non intentionnelles, puissent constituer une cause légitime permettant aux associés d’obtenir la révocation judiciaire dudit dirigeant.

 

Soulignons enfin que cette solution, rendue à propos d’un gérant d’une société à responsabilité limitée, est parfaitement transposable aux dirigeants à l’encontre desquels la révocation judiciaire est possible, lesquels sont ainsi appelés à la plus grande vigilance dans l’exercice de leurs fonctions.

 

 

À rapprocher :

 

Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions