Fédérations, ligues, clubs : L’intérêt de l’enquête interne

En bref

L’enquête interne est une pratique de plus en plus répandue en France. Elle permet de faire la lumière sur des pratiques, comportements ou évènements et de pouvoir mettre en place un plan de remédiation. Alors que les enquêtes internes se multiplient dans le secteur sportif (FFR, FFF, UEFA, FIFA) il est nécessaire de comprendre son fonctionnement et ses objectifs pour en appréhender l’intérêt.

 

Article

 

Depuis quelques années, l’enquête interne semble la solution utilisée par les organisations sportives lorsque des comportements infractionnels ou des incidents sont signalés. Il est ainsi possible de citer les enquêtes internes ouvertes par :

  • - La Fédération Française de Rugby en 2018 à la suite d’une soirées à laquelle les joueurs avaient participé et qui était considérée comme portant atteinte à l’image de la France ;
  • - L’UEFA après le fiasco sécuritaire de la finale de la ligue des champions le 28 mai 2022 ;
  • - La FIFA après la découverte de l’existence d’un accès privilégié par SALT BAE pendant la Coupe du Monde 2022 ;
  • - La Fédération Française de Foot et le ministère des Sports à la suite des révélations portant sur le comportement du couple HARDOUIN-LE GRAËT et notamment la plainte pour harcèlement.

 

Les valeurs du sport et la réputation des équipes de France ou de certains clubs étant en jeu, il est nécessaire de mettre en œuvre des enquêtes internes pour faire la lumière sur certains faits et démontrer qu’il n’existe aucune impunité.

 

Le développement des enquêtes internes en France

 

L’enquête interne est une démarche mise en œuvre par une fédération, une ligue ou un club, visant à obtenir une compréhension détaillée d’une pratique, d’un comportement ou d’un évènement. Il peut s’agir de sujets éthiques, sécuritaires, sociaux ou pénaux.

Les enquêtes internes ont fait leur apparition aux Etats-Unis dans le secteur de la banque, puis se sont étendus aux matières de droit de la concurrence et du droit du travail. Face aux ingérences américaines dans les sociétés françaises, la France a adopté la loi Sapin II du 9 décembre 2016 imposant aux entreprises de plus de 50 salariés la mise en place d’un dispositif de recueil et de traitement des signalements et aux entreprises de plus de 500 salariés et 100 M € de chiffre d’affaires la mise en place d’un dispositif anticorruption.

 

En créant ces obligations, ainsi que la Convention judiciaire d’intérêt public (justice négociée), cette loi a considérablement accru l’importance et le développement des enquêtes internes en France. Cette pratique n’est pas encore régulée mais le Conseil national des barreaux a publié en 2020 un guide intitulé « L’AVOCAT FRANÇAIS ET LES ENQUETES INTERNES », le barreau de Paris a publié en 2020 une « ANNEXE XXIV VADEMECUM DE L’AVOCAT CHARGÉ D’UNE ENQUÊTE INTERNE » et l’Agence française anticorruption publiait en mars 2022 un projet de guide sur les enquêtes internes anticorruption. L’objectif de ces guides est d’appliquer les droits de la défense et les droits des salariés pendant chacune enquête interne pour garantir le droit de la preuve.

 

 

Les objectifs de l’enquête interne

 

La mise en place d’une procédure d’enquête interne effective et efficace, souvent liée au dispositif d’alerte, permet de retenir davantage les informations en interne et de « laver son linge sale en famille ». En effet, lorsque les collaborateurs ont la certitude de pouvoir être entendu sans crainte de représailles et d’obtenir des sanctions pour les auteurs de manquements ou de pratiques illégales, ils préfèreront davantage signaler les faits en interne. En revanche, si ce n’est pas possible, ils se tourneront vers les autorités, ce qui implique une ingérence de ces dernières mais aussi un risque de fuite dans les médias qui entrainerait une forte atteinte à la réputation.

 

L’enquête interne permet d’obtenir un maximum d’éléments sur les faits, comportements, pratiques ou évènements objet d’un signalement, d’une plainte ou de soupçons. Elle permet en effet de mettre en lumière des pratiques illégales, des comportements dangereux, des failles dans les procédures, voire l’innocence d’une personne accusée. Elle a également pour objectif de faire cesser le manquement lorsque celui-ci perdure, de gérer la crise liée au signalement des faits et de mettre en place un plan d’actions pour prévenir tout autre manquement de même nature.

 

L’enquête interne permet ainsi de récolter des preuves pour prendre d’éventuelles mesures disciplinaires, pour déposer plainte auprès des autorités ou pour préparer sa défense lorsque la fédération, la ligue ou le club est susceptible d’engager sa responsabilité pénale.

 

Ainsi, dans le cadre des enquêtes internes réalisées dans le secteur sportif, certaines ont permis de mettre au jour des pratiques managériales délétères, des failles sécuritaires importantes mettant en danger les spectateurs ou les joueurs, des comportements relevant du harcèlement, des faits de corruption, etc. Cette découverte a engendré des sanctions mais également une volonté d’accroitre l’importance de l’éthique, de la sécurité et de la prévention dans les fédérations, les ligues et les clubs.

 

L’ouverture de l’enquête interne

 

L’enquête interne peut être ouverte pour plusieurs raisons. Il peut s’agir du traitement d’un signalement fait en interne par un collaborateur, via le dispositif d’alerte ou non. Il est possible d’ouvrir une enquête interne à la suite de la découverte d’un manquement dans le cadre de contrôles ou d’audits. Il peut enfin s’agir d’une réaction en lien avec une plainte déposée auprès des autorités, lorsque l’entreprise a la volonté d’éclaircir les faits et potentiellement de coopérer avec les autorités.

Dans tous les cas, l’ouverture d’une enquête interne est nécessaire pour découvrir la véracité des faits.

 

Le déroulement de l’enquête interne

 

Lorsqu’une enquête interne s’ouvre, la première chose à faire est de procéder à la conservation des preuves potentielles notamment en faisant une copie des serveurs, en interdisant à quiconque de toucher aux archives papiers et en envoyant un message aux collaborateurs leur interdisant de supprimer des éléments.

Une fois les éléments conservés, il convient d’établir un plan définissant le périmètre d’actions (date, lieu, faits, procédure, etc.) ainsi que les rôles et responsabilités des différents intervenants, enquêteurs internes ou externes.

 

En tenant compte du périmètre établi, les enquêteurs pourront procéder à la collecte d’informations documentaires ou des données informatiques, au besoin en ayant recours à un forensic, puis pourront pratiquer des entretiens avec les différents collaborateurs internes ou externes qui sont concernés de près ou de loin.

La collecte des informations doit en toutes circonstances respecter le droit à la vie privée, la loyauté, et les droits de la défense.

Une fois les éléments et informations récoltés, les enquêteurs en font une analyse puis rendent un rapport, dans lequel figurent des recommandations, qu’ils communiquent aux dirigeants. S’en suivra le fameux plan de remédiation et la mise en place de mesures correctives.

 

L’intérêt de faire appel à des avocats enquêteurs

 

Le rapport d’enquête interne et les éléments récoltés ne sont en principe pas couvert par un quelconque secret professionnel ou des affaires ce qui signifie que les autorités peuvent s’en saisir en cas de perquisition.

En présence d’un avocat pendant l’enquête, le rapport d’enquête interne et les éléments recueillis sont protégés par le secret professionnel et ne peuvent être saisi lors d’une perquisition. Si d’aventure ces documents étaient saisis le nouvel article 56-1-1 du code de procédure pénale permet désormais de s’opposer à la saisie de documents et informations couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil. Cela permet de forcer, dans le cadre des saisies informatiques, le déclenchement d’une expertise et d’obtenir au cadre strict de mots-clés judiciairement et contradictoirement discutés devant le Juge des libertés et de la détention.

 

Mes préconisations

 

  • - Mettre en place un dispositif d’alerte même lorsque l’entreprise n’en a pas l’obligation ;
  • - Mettre en place une procédure d’enquête interne ;
  • - Faire appel à un avocat en cas de soupçon de manquement pour réaliser l’enquête interne ;
  • - Etablir un plan de remédiation et prendre les mesures de sanction, de gestion et de prévention nécessaire ;
  • - Sensibiliser les collaborateurs sur les manquements soulevés par l’enquête interne.

 

Un article rédigé par Julie Guenand, avocate en Droit pénal de l'entreprise, Ethique, Conformité & Intelligence économique.