La faute séparable des fonctions de dirigeant comme fait générateur de responsabilité personnelle

La faute séparable des fonctions de dirigeant comme fait générateur de responsabilité personnelle

Cass.com., 7 septembre 2022 – n° 20-202.404

 

La faute séparable des fonctions de dirigeant qui se caractérise par sa particulière gravité et son élément intentionnel incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales est de nature à engager la responsabilité personnelle du dirigeant à l’égard des tiers.

 

Le dirigeant d’une société ne faisant qu’agir pour le compte de la personne morale qu’il représente, c’est en principe la responsabilité de la société qui est engagée en cas de préjudice causé à un tiers. Il est ainsi d’usage de dire que la personne morale fait écran avec la personne du dirigeant, protégeant ainsi ce dernier contre l’engagement de sa responsabilité personnelle.

Pour autant, l’arrêt du 7 septembre 2022 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler que ce principe n’est pas absolu en apportant une illustration de l’engagement de la responsabilité pour faute d’un gérant de société à responsabilité limitée.

 

En l’espèce, Monsieur X, directeur commercial d’une société a démissionné de ses fonctions salariées avant de constituer et prendre la direction, quelques mois plus tard, d’une société exerçant une activité concurrente à celle de la société dont il avait démissionné. Cette dernière l’assigne alors devant le tribunal de commerce en recherchant sa responsabilité personnelle pour actes de concurrence déloyale par détournement d’informations confidentielles et de clients ainsi que par débauchage de son personnel et sous-traitance illicite.

 

Par un arrêt du 13 mars 2020, la Cour d’appel de Paris a débouté la société de sa demande jugeant que la responsabilité personnelle de Monsieur X ne pouvait être retenue au titre de faits allégués postérieurs à son départ de la société et qu’il n’était pas justifié qu’il ait commis, en tant que gérant de la société qu’il a constituée, des actes détachables de ses fonctions sociales, incompatibles avec l’exercice normal de ces dernières, de nature à engager à sa responsabilité personnelle, ni des actes de détournement à son profit (CA Paris, 13 mars 2020 – n°16/2099).

 

La Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur ce point considérant que les juges du fond n’avaient pas tiré les conséquences légales de leurs constatations. En effet, bien qu’elle ait constaté que Monsieur X était à l’origine du détournement déloyal d'informations confidentielles relatives à l'activité de la société dont il était antérieurement salarié, et que ce détournement avait été opéré au profit de la société qu'il a constitué, la Cour d’appel de Paris a considéré que, à défaut de faute séparable de ses fonctions de gérant, les conditions de l’engagement de sa responsabilité personnelle n’étaient pas réunies.

Or, pour la Haute Juridiction, ces agissements constituent une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales de nature à engager la responsabilité personnelle du gérant à l’égard des tiers.

 

Cette solution nous paraît conforme aux dispositions de l’article L. 223-22 du Code de commerce qui prévoit notamment que les gérants sont personnellement responsables envers les tiers des fautes commises dans leur gestion. Si la faute de gestion n’a pas été définie par le législateur, la jurisprudence s’est chargée d’en tracer les contours. Il est ainsi de jurisprudence constante que la faute de gestion recouvre les fautes commises par le dirigeant qui soient détachables de ses fonctions. Dans de telles hypothèses, le dirigeant fautif est alors civilement responsable à l’égard des tiers pour la faute commise et ces derniers peuvent donc agir directement contre lui.

 

Par ailleurs, la jurisprudence est également venue préciser que la faute du dirigeant était séparable de ses fonctions dès lors qu’il commettait intentionnellement une faute d’une gravité particulière incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions. Ainsi définie, la faute séparable s’apparente à une faute lourde qui requiert non seulement un élément objectif mais également un élément intentionnel.

Soulignons enfin que la solution dégagée par la Cour de cassation à l’égard d’un gérant de société à responsabilité limitée nous paraît parfaitement transposable à tout dirigeant de société dans la mesure où les conditions d’engagement de la responsabilité personnelle du dirigeant sont identiques quelle que soit la forme de la société concernée.

 

A rapprocher :

Article L. 223-22 du Code de commerce
Article 1240 du Code civil
Cass.com.,20 mai 2003, n°99-17092

 

Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions