Evolution législative de fond : la montée en puissance des critères extra-financiers

La prise en compte par les investisseurs de critères qui vont au-delà de la simple rentabilité d’une entreprise remonte aux initiatives du début du siècle avec les fonds éthiques conciliant besoin financier et aspiration religieuse.

Sous des appellations diverses (Développement Durable, Responsabilité Sociétale de l’Entreprise - RSE, Investissement Socialement Responsable – ISR, critères Environnementaux Sociaux et de Gouvernance - ESG), que l’on regroupera sous le terme de critères extra-financiers, il est fait référence à une multitude d’enjeux : la gouvernance et l’éthique des sociétés, la performance en matière de ressources humaines, les impacts environnementaux et, de manière générale, les enjeux sociétaux comme par exemple la parité homme-femme.

Cette montée en puissance des critères extra-financiers est illustrée par l’offre de fonds durables qui ne cesse de croître : au 30 juin 2019, 531 fonds totaliseraient 185 milliards d’euros d’encours en augmentation de 27 % sur 6 mois d’après l’indicateur Novethic.

1. LE DÉVELOPPEMENT D'UN CADRE LÉGISLATIF 

La montée en puissance des critères extra-financiers s’est effectuée tant au niveau international qu’au niveau européen et national.

a. Au niveau international

Les premières initiatives publiques visant à encourager les entreprises à adopter un comportement responsable remontent à la fin des années 1970 avec les principes directeurs et les guides sectoriels de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales (révisés en 2011).

Le concept du Développement Durable apparaît pour la première fois en 1987 dans le Rapport Brundtland émis par la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement suivi par le deuxième Sommet de la Terre en 1992 à Rio, le protocole international de Kyoto en 1997, le Pacte Mondial des Nations Unies en 2000 et la conférence de Paris sur le climat de 2015 (COP21).

Le développement de ces réglementations, dont il est difficile d’établir un panorama complet, va dans le sens de la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures), groupe de travail mis en place par le G20 en 2015, qui a pour objectif d’établir un cadre commun de transparence financière en matière de climat.

b. Au niveau européen

Dès juillet 2001, la Commission Européenne publie un livre vert pour promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises.

Pour une réglementation plus contraignante, il faudra attendre la directive sur le reporting extra-financier n°2014/95/UE du 22 octobre 2014, rendue applicable le 6 décembre 2016, qui impose aux sociétés de plus de 500 salariés d’inclure dans le rapport de gestion une déclaration non financière comprenant des informations relatives au moins aux questions environnementales, sociales et de personnel, de respect des droits de l'homme et de lutte contre la corruption. Cependant, les sociétés peuvent y déroger mais doivent en justifier (c’est le principe du comply or explain).

c. Au niveau national

La loi relative aux nouvelles régulations économiques n°2001-420 du 25 mai 2001 a été pionnière sur la transparence des entreprises concernant les critères extra-financiers. Ainsi, les sociétés cotées (sans condition de seuils) se sont retrouvées dans l’obligation d’expliquer dans leur rapport de gestion la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité.

Les lois Grenelle 1 n° 2009-967 du 3 août 2009 et Grenelle 2 n°2010-788 du 12 juillet 2010 ont étendu cette obligation de transparence à certaines sociétés non-cotées dépassant des seuils de total de bilan (100 millions) ou de chiffre d’affaires (100 millions) et de salariés (500) et prévu un dispositif inédit de contrôle de l’information extra-financière par un organisme tiers indépendant. Les sociétés doivent également présenter leurs engagements en faveur du développement durable.

En outre, les sociétés employant plus de 500 personnes ont désormais l’obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre ainsi que les actions envisagées pour les réduire.

De la même manière, pour les investisseurs institutionnels, la loi de transition énergétique n°2015-992 du 17 août 2015 a imposé une obligation d’informer leurs souscripteurs sur la prise en compte des questions extra-financières.

Depuis l’ordonnance du 19 juillet 2017, transposant la directive européenne sur le reporting extra-financier, la déclaration de performance extra-financière de l’article L225-102-1, ne s’applique plus qu’aux grandes entreprises cotées (seuil de 20 millions d’euros de total de bilan ou 40 millions d’euros de CA et 500 nombre moyen de salariés) alors que les seuils pour les sociétés non-cotées n’ont pas évolué.

La déclaration de performance extra-financière doit à ce jour contenir des informations relatives au changement climatique, au développement durable, à l'économie circulaire, à la lutte contre le gaspillage alimentaire, la précarité alimentaire, le respect du bien-être animal et d'une alimentation responsable, équitable et durable et autres aspects sociaux.

2. LES RÉCENTES ÉVOLUTIONS

La loi Pacte semble enfin consacrer de manière solennelle la reconnaissance des critères extra-financiers en les intégrant dans le code civil. L'article 1833 du Code civil dispose désormais que « la société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». On peut regretter que cette nouvelle disposition rentre uniquement dans une logique de « responsible but not accountable » dans la mesure où le non-respect des enjeux sociaux et environnementaux ne constitue pas une cause de nullité des actes et délibérations des organes de la société. Un autre apport de la loi concerne la possibilité pour les sociétés de se doter d’une raison d’être, constituée « des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Ceci pourrait être un élément intéressant de responsabilisation des dirigeants sociaux en cas de non-respect d’une raison d’être statutaire.

Avancée notable, la loi Pacte renforce la représentation des femmes au sein des comités de direction et sanctionne le non-respect des règles de représentation par la nullité des délibérations prises par le conseil auquel ont participé les personnes irrégulièrement nommées.

3. UN DEVOIR DE VIGILANCE ÉTENDU 

Dans le cadre de la lutte contre la corruption, la loi phare qui a révolutionné le droit français est la loi Sapin II. Elle a notamment ouvert la possibilité aux entreprises de transiger sur certains risques pénaux dans le cadre des Conventions judiciaires d’intérêt public. Elle a également relevé significativement le niveau des sanctions financières applicables en France et prévu des amendes pouvant représenter jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires consolidé du groupe concerné. Toutefois, la loi française qui est la plus emblématique du respect des critères ESG est, sans conteste, la loi sur la vigilance n° 2017-399 du 27 mars 2017.

La loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, également surnommée « loi Potier », est une loi unique au monde par son ambition éthique.

Elle doit notamment son adoption au triste scandale de l’effondrement de l’immeuble « Rana Plaza » au Bangladesh ayant entraîné en 2013 la mort de plus de 1 100 ouvrières de l’industrie textile. Cette loi impose aux grandes entreprises françaises donneuses d’ordre de prévenir les risques sociaux, environnementaux, sécuritaires et sanitaires ainsi que les atteintes aux droits de l’homme liés à leurs opérations, à celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Les référentiels d’application de la loi étant large, elle a des seuils d’application élevés (plus de 5 000 salariés en France, plus de 10 000 salariés dans le monde à la clôture de deux exercices consécutifs).

La loi sur le devoir de vigilance a déjà été mise en oeuvre 4 fois depuis son adoption en 2017 : 2 fois à l’encontre de la société Total ainsi qu’à l’égard de la société Teleperformance accusée de ne pas respecter les droits de l’homme des salariés qu’elle emploie notamment en Inde, aux Philippines, au Mexique et en Colombie. Très récemment, c’est le groupe EDF qui a été mis en demeure pour violation des droits humains dans le cadre d’un projet de sa filiale EDF Energies nouvelles au Mexique.

Ces différentes actions visent à imposer aux sociétés concernées d’adopter en urgence, ou d’améliorer significativement, un plan d’actions efficaces pour lutter contre les atteintes aux droits humains ou celles ayant un impact environnemental. Si le plan n’est pas jugé adéquat par les Organisations Non Gouvernementales et collectifs généralement à l’origine des mises en demeure, ceux-ci auront la possibilité de porter le litige devant le juge français afin de demander une injonction de mise en conformité ou de voir engager la responsabilité civile de la multinationale impliquée. In fine, la loi française ouvre donc la voie à l’obtention d’une réparation du préjudice subi par les victimes. Cela pourrait avoir des conséquences financières importantes telles que le coût de la rénovation d’un immeuble voire même l’abandon d’un projet industriel, qui devront être prises en considération par les entreprises visées et leurs investisseurs.

4. CONCLUSION

Le développement des politiques RSE et ESG fait écho à la volonté croissante des actionnaires et des consommateurs d’être mieux informés. Cependant, elles représentent aujourd’hui un véritable levier de performance et des opportunités commerciales, notamment au niveau international. De plus, du côté des investisseurs, l’impact investing est un marché huit fois plus important qu’en 2012, ce qui démontre bien l’intérêt de la démarche. Pour preuve, il suffit de constater l’explosion de l’offre en matière de Due Diligence ESG.

Au niveau national, le Parlement a adopté le 11 septembre le projet de loi relatif à l’énergie et au climat visant à parvenir à une neutralité carbone à l’horizon 2050 et à étendre le reporting extra-financier des investisseurs sur les risques liés à la biodiversité.

Force est donc de constater qu’à travers le monde les réglementations RSE et ESG se multiplient, s’imposant comme une nécessité pour une croissance durable voire un levier de performance même si aujourd’hui, la majorité se limitent encore à un devoir d’information et n’imposent que très peu de contraintes ou sanctions.