Concentration : interdiction de l’acquisition de GRAIL par Illumina

 

Concentration : interdiction de l’acquisition de GRAIL par Illumina

Communiqué de presse de la Commission européenne du 6 septembre 2022

 

Estimant que l’opération aurait freiné l’innovation et la concurrence sur le marché des tests sanguins de détection précoce du cancer, la Commission européenne a interdit le rachat de GRAIL par Illumina.

Il s’agit de la première interdiction d’une opération de concentration sous les seuils de concentration, examinée après renvoi sur le fondement de l’article 22 du règlement européen n°139/2004.

 

Illumina, entreprise mondiale opérant sur le secteur des technologies de santé, fournit des systèmes de séquençage de nouvelle génération (« NGS » ou « Next Generation Sequencing ») pour les analyses génétiques et génomiques. GRAIL, cliente d’Illumina, met au point des tests de dépistage du cancer basés sur des systèmes NGS.

Le 19 avril 2021, six autorités de concurrence dont l’Autorité de la concurrence en France,  ont saisi la Commission européenne afin que cette dernière examine l’opération de rachat de GRAIL par Illumina alors que l’opération ne franchissait aucun seuil national ou européen.

De mémoire, l’article 22 du règlement européen n°139/2004  permet à une autorité nationale de concurrence de renvoyer à la Commission européenne une opération de concentration qui ne serait pas de dimension européenne, mais qui affecterait le commerce entre États membres et menacerait d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.

Le 13 juillet 2022, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé les décisions de renvoi de la Commission du 19 avril 2021.

Le 22 juillet 2021, la Commission européenne a lancé une enquête approfondie.

Le 18 août 2021, Illumina a annoncé publiquement le rachat de GRAIL alors même que la Commission n’avait pas autorisé l’opération.

Sur la base de cette enquête, la Commission a interdit l’opération, craignant qu’à l’issue du rachat,  Illumina ne mette en œuvre des stratégie de verrouillage contre les concurrents de GRAIL, eu égard à sa position dominante sur le marché des systèmes NGS.

En effet, selon la Commission, les concepteurs de tests de détection précoce du cancer ont besoin de « systèmes NGS à haut débit, assortis d'un réseau de soutien fiable et de résultats probants » et qu’à ce jour, « seuls les équipements d'Illumina répondent à ces exigences » et « qu'il n'existait pas de solution de remplacement crédible à court et moyen terme ».

De telles stratégies de verrouillage ont été jugées néfastes pour les patients européens, lesquels ne bénéficieraient plus des innovations dans le domaine de la mise au point et de la commercialisation de tests de détection du cancer fondés sur le NGS – les concurrents étant évincés.

Pour répondre aux préoccupations de concurrence de la Commission, Illumina a proposé des mesures correctives, et notamment de conclure des accords avec les concurrents de GRAIL, leur garantissant d’accéder en continu aux système NGS d’Illumina.

Toutefois, la Commission a retenu que ces engagements avaient peu de chances d'être efficaces dans la pratique, car ils n'abordaient pas efficacement toutes les stratégies de verrouillage possibles qu'Illumina pourrait mener. En effet, selon la Commission, Illumina n’a pas supprimé, dans ces accords, par exemple le risque qu’elle dégrade le support technique de ses systèmes NGS dans le but d’évincer les concurrents de GRAIL.

Malgré les mesures correctives proposées par Illumina, la Commission les a jugées insuffisantes pour « prévenir le préjudice de l’innovation dans le domaine des tests de détection du cancer fondés sur le NGS résultant de l’opération ».

La vice-présidente chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager a déclaré : « Illumina est actuellement le seul fournisseur crédible d'une technologie permettant de développer et de traiter ces tests. Avec cette opération, Illumina serait incitée à empêcher les concurrents de GRAIL d'accéder à sa technologie, ou à les désavantager d'une autre manière. Il est essentiel de préserver la concurrence entre les concepteurs de tests de détection précoce du cancer à ce stade critique de développement. ».

Enfin, la Commission a rappelé qu’en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement N°139/2004, pouvoir dissoudre la concentration ou prendre d’autres mesures appropriées.

De son côté, Illumina a laissé entendre vouloir faire appel de la décision.

Pour la première fois, la Commission européenne a d’une part examiné une opération de concentration en dessous des seuils de contrôle européens sur le fondement de l’article 22 du règlement n°139/2004 et d’autre part interdit une opération de concentration sous les seuils de concentration, examinée après renvoi sur ledit fondement.

Nous ne pouvons que constater que la Commission européenne a changé de politique. Jusqu’à très récemment, les demandes de renvoi sur ce fondement n’étaient pas examinées par la Commission.

Ce changement de politique fait écho au communiqué du 11 septembre 2020 de Margrethe Vestager dans lequel elle déclarait que la Commission acceptait désormais d’examiner les demandes de renvoi sur le fondement de l’article 22 du règlement n°139/2004.

Dorénavant, les concentrations sous les seuils européens peuvent faire l’objet d’un contrôle de la Commission.

Espérons que la Commission européenne et les autorité de concurrences nationales fassent preuve de modération dans le recours à l’article 22 du règlement n°139/2004. En effet, cet article s’applique à tous les secteurs de l’économie.

Toutefois, en pratique, les secteurs visés sont les secteurs pharmaceutique et numérique car l’innovation est essentielle dans ces secteurs alors même que des problèmes de concurrence y sont récurrents.

 

A rapprocher :

Commission européenne, orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires ; TUE, aff. T-227/21, 13 juillet 2022.

 

Un article rédigé par le département Distribution, Concurrence, Consommation